L’instruction civique au Canada : table ronde sur la situation

Article 7 / 11 , 46 no 4 (Hiver)

L’instruction civique au Canada :
table ronde sur la situation

On dit que les enfants sont l’avenir de notre société, mais une démocratie participative en bonne santé fera-t-elle partie de cet avenir? Comment les écoles et les organisations non gouvernementales parviennent-elles à aider les jeunes (et, plus largement, tous les citoyens) à comprendre la société dans laquelle ils évoluent, et à s’interroger sur les différents moyens mis en œuvre pour répondre à la question civique fondamentale : comment vivre ensemble en société? Dans le cadre de cette table ronde, la Revue parlementaire canadienne (RPC) a demandé à cinq personnes impliquées dans divers aspects de l’éducation civique de faire part de leurs réflexions sur le chemin parcouru, la situation actuelle et, idéalement, la direction à prendre en matière d’éducation et de mobilisation citoyenne. *Ce document est une transcription réalisée à partir de trois discussions différentes avec les mêmes intervenants.

Intervenants : Greg Essensa, Heather Lank, Dimitri Pavlounis, Beatrice Wayne et Diane Vautour

RPC : Décrivez-nous en quelques mots la structure qui vous emploie et votre rôle au sein de celle-ci.

Greg Essensa : Je suis le directeur général des élections de l’Ontario et le président-directeur général d’Élections Ontario.

Heather Lank : Je suis bibliothécaire à la Bibliothèque du Parlement depuis 2018. J’ai auparavant travaillé de nombreuses années à l’administration du Sénat du Canada. À la Bibliothèque, nous sommes très impliqués dans les programmes du Parlement d’éducation du public, d’où le fait que je m’intéresse de près à ce domaine. La Bibliothèque organisera le Forum des enseignantes et des enseignants sur la démocratie parlementaire canadienne pour la 24e fois cette année, de la fin du mois d’octobre au début du mois de novembre ٢٠٢٣. Nous y faisons venir des enseignantes et des enseignants de tout le pays pour leur faire découvrir le Parlement canadien et notre système de gouvernance. L’organisation de ce programme me passionne, et je suis heureuse que nous puissions enfin le relancer, après cette période de pandémie. Je vous parlerai de certains des outils que nous avons développés et d’initiatives que nous avons entreprises pour venir renforcer l’enseignement de l’éducation civique au Canada. Je suis bien contente que nous soyons revenus à une situation où il nous est possible d’accueillir du public en personne à Ottawa et d’offrir un apprentissage par l’expérience.

Dimitri Pavlounis : Je suis directeur de recherche chez CIVIX. Nous créons des ressources pédagogiques pour permettre au personnel enseignant une exploitation de l’apprentissage par l’expérience et nous organisons des formations. Ce débat arrive à point nommé, car je travaille actuellement sur une enquête que nous venons de réaliser auprès d’environ 2 000 enseignantes et enseignants sur l’enseignement de l’éducation civique au Canada.

Beatrice Wayne : Je suis directrice de recherche au Centre Samara pour la démocratie. Nous sommes une organisation sans affiliation politique et à but non lucratif, qui s’attache à désacraliser le discours politique et à favoriser la participation à la politique au Canada. Avant de travailler au Centre Samara pour la démocratie, j’ai été chercheuse associée auprès de la Students Learn Students Vote Coalition aux États-Unis, ce qui me permet d’avoir un double regard sur l’enseignement de l’éducation civique.

Diane Vautour : J’enseigne au Toronto Catholic District School Board. Cela fait 21 ans que j’enseigne, principalement les sciences humaines, les sciences sociales et l’histoire, dont l’éducation civique que j’enseigne depuis le début de ma carrière, depuis donc plus de 20 ans. J’ai possède également de l’expérience de terrain en la matière, ayant travaillé comme conseillère pédagogique et responsable de l’éducation pour le ministère de l’Éducation de l’Ontario, dans le champ de compétence de l’éducation civique. J’ai également travaillé pendant un an à Élections Ontario à l’élaboration de ressources en éducation civique pour des élèves de 5e et de 10e année. J’ai enfin de l’expérience dans l’enseignement de l’histoire, la rédaction de manuels et les cours en ligne.

RPC : Que pensez-vous de l’état actuel de l’instruction civique au Canada?

Greg Essensa : Nous constatons assurément une baisse de la participation électorale en Ontario, ainsi qu’au Canada. On pourrait voir dans ce déclin de la participation électorale un phénomène propre aux démocraties occidentales. En Ontario, ce déclin a été flagrant lors des dernières élections provinciales de 2022. Nous avons en effet enregistré le taux de participation le plus bas de notre histoire, une baisse qui ne fait que progresser depuis ces cent dernières années. En 1920, nous avons connu notre taux de participation le plus élevé, avec un peu plus de 78,5 % de votants. Lors des dernières élections en Ontario, ce taux n’était plus que de 43 %.

L’un des points que j’ai évoqués auprès de l’Assemblée législative est qu’il nous faut maintenant travailler sur la question, et faire en sorte de redonner du sens au vote pour les citoyennes et les citoyens.

En effet, les 18-24 ans, voire jusqu’à 35 ans, ne votent pas autant que les plus de 55 ans; et ceci est un phénomène qui dure. J’ai l’occasion d’intervenir dans des établissements d’enseignement supérieur où j’entends souvent des étudiantes et étudiants me dire : « Ce que disent les partis politiques ne me touche pas. Leurs programmes n’abordent pas les questions qui me tiennent à cœur. »

Je pense que nous devons revoir le programme d’éducation civique. Il serait selon moi nécessaire de l’intégrer davantage aux quatre années de secondaire, en particulier lors de la 12e année, lorsque les jeunes atteignent l’âge de ١٨ ans. Il me semble essentiel de parler de citoyenneté, de mettre en place des programmes dans nos établissements d’enseignement sur l’importance du vote pour une société civile en bonne santé, et d’encourager les jeunes à s’impliquer dès le droit de vote acquis.

Tout le temps que j’ai organisé des élections dans notre province – jusqu’à mes 38 ans –, j’ai pu assister au développement de l’enseignement de l’éducation civique. Lorsque j’ai commencé à travailler dans ce domaine, cet enseignement était très restreint, réduit presque à l’échelle de l’enseignant. Or aujourd’hui, nous disposons en Ontario d’un programme uniformisé pour l’enseignement de l’éducation civique en 5e année puis en ١٠e année. Il me semble que dans pratiquement toutes les provinces, il existe un programme d’éducation civique dans le système éducatif, quelle que soit sa forme. Je trouve ceci formidable.

Diane Vautour : En Ontario, le ministère vient tout juste de réviser le cours d’éducation civique et de citoyenneté. Il s’agit d’un cours de courte durée suivi en 10e année, qu’il serait probablement bon de prolonger sur un semestre complet, et de le donner plutôt en ١١e année.

Je trouve la vision du programme scolaire intéressante. Ce programme, en effet, encourage la remise en question, et place l’élève dans une position d’acteur citoyen, d’un habitant qui peut et doit agir pour la société. Bien que certains éléments du programme soient encore indéterminés – peut-être y a-t-il déjà, d’ailleurs, des travaux à l’œuvre pour les fixer –, l’éducation civique est selon moi un moyen pour les élèves de trouver leur place, dans leur ville, dans leurs communautés, dans leur quartier, dans leur province, dans leur pays, et dans le monde.

Le programme scolaire ontarien permet donc de s’intéresser au point de vue personnel des élèves, de s’ouvrir au point de vue des autres, et d’aborder les questions qui leur tiennent à cœur. Le programme d’éducation civique nous invite également à travailler sur leur rôle en tant que personne ayant un pouvoir d’action citoyen dans sa communauté, et à essayer de faire évoluer les choses de la manière la plus informée possible.

Notre programme permet enfin de traiter de la mésinformation et de la désinformation, et d’apporter des éléments de culture numérique. Au fil de ma carrière, ce sujet a pris de plus en plus de place et fait l’objet de plus en plus de controverses. Avant la crise sanitaire, je n’avais jamais eu d’inquiétudes ou de réticences quant à la façon dont l’enseignement de l’éducation civique était fait. Or, depuis, le discours public a évolué et l’intérêt du public pour ce domaine s’est accru. C’est une bonne chose, mais qui entraîne aussi d’autres problématiques.

Heather Lank : Ma position sur le sujet se fonde sur du travail de terrain comme fait Diane, plus concret que nos activités de la Bibliothèque. L’un des avantages du Forum des enseignantes et des enseignants est qu’il crée un très vaste réseau de pédagogues de tout le pays, qui ont eux-mêmes participé au Forum. Ce sont autant de personnes-ressources, tout comme le Comité consultatif du personnel enseignant (Teachers Advisory Committee), qui donnent leur avis sur le programme. Ceci nous permet de travailler à des améliorations en fonction des commentaires reçus.

Plusieurs choses sont à cet effet ressorties, dont certaines me semblent dignes de mention. Tout d’abord, et cela ne surprendra personne, l’enseignement de l’éducation civique demeure un défi majeur dans les écoles canadiennes. Nous le constatons lorsque nous accueillons des groupes scolaires à la Colline pour des visites. Nous voyons en effet à quel point notre système de gouvernance, le fonctionnement du Parlement et celui de la démocratie sont mal connus. Nous avons notamment remarqué que l’éducation civique est souvent enseignée par des enseignantes et enseignants relativement néophytes en la matière, mais qui se mettent à l’enseigner tout bonnement parce qu’ils viennent d’arriver et qu’on leur en a fait la demande. Il se peut qu’ils aient des connaissances en matière d’éducation civique, comme il se peut qu’ils n’en aient pas.

Nous avons également constaté qu’avec l’intensification de la pénurie de personnel, des enseignantes et enseignants dont le champ de compétence est l’éducation civique se retrouvent de plus en plus sollicités pour donner des cours dans d’autres domaines. Nous avons donc d’un côté un personnel enseignant dépourvu d’expérience qui l’enseigne en complément, et de l’autre côté un personnel enseignant avec expérience qui ne peut l’enseigner comme matière principale.

Enfin, l’éducation civique est généralement enseignée dans le cadre des cours de sciences sociales, où l’accent est souvent mis sur les événements historiques, politiques et militaires. L’éducation à la citoyenneté est souvent secondaire et ne reçoit probablement pas l’attention que certaines et certains d’entre nous pensent qu’elle mérite. Il est essentiel de promouvoir la citoyenneté à la fois dans la salle de classe et en dehors. Les ressources et programmes pédagogiques de la Bibliothèque sont spécialement faits pour ça.

De notre côté, il nous a été possible d’apporter un certain soutien pendant la pandémie, sur des sujets comme le passage à l’enseignement en ligne et la prise en charge du travail scolaire par les parents. Nous avons à cet effet élaboré et repensé nombre de nos outils pour les rendre utilisables par les parents, le corps enseignant et les élèves pour l’apprentissage à la maison. Il est important de tirer parti des nouvelles technologies et nous assurer que nous disposons d’outils adaptés aux enfants, au personnel enseignant et aux parents.

Beatrice Wayne : Une grande partie de ce qu’a dit Heather me rejoint vraiment, et correspond également aux constats faits par le Centre Samara. Une chose qu’a dite Heather à la fin – et que je pense important de souligner dans cette conversation – est qu’il est vraiment important, si l’on aborde l’état de l’enseignement de l’éducation civique au Canada, de ne pas le limiter au secondaire ou au postsecondaire, mais de l’appréhender dans une perspective plus large et continue. L’éducation civique s’applique en effet aussi bien aux adultes qu’aux jeunes.

Il nous faut ainsi réfléchir à la manière dont nous pouvons l’intégrer à différents niveaux. La recherche a démontré que les parents jouent un rôle important dans le développement de la citoyenneté chez leurs enfants. Mais il est aussi connu que les jeunes peuvent jouer un rôle important dans la transmission du savoir à leurs parents, en particulier chez les parents des communautés immigrées ou des communautés sous-représentées dans nos structures politiques.

Par conséquent, s’interroger sur l’enseignement de l’éducation civique au Canada revient à ouvrir la discussion et à s’intéresser aussi à ce qu’il se passe en dehors de la salle de classe. L’enseignement en classe est certes important, mais elle ne suffit pas si la volonté est de développer un solide dispositif d’apprentissage de la citoyenneté au Canada.

Du point de vue de la recherche et d’un point de vue global, un mot très simple suffirait pour décrire l’état de l’enseignement de l’éducation civique : « insuffisant ». On qualifie les jeunes de passifs, mais ce sont souvent eux qui s’engagent dans l’action directe, en participant à une manifestation ou par la signature de pétition. Les jeunes ne perçoivent pas en revanche le lien entre l’action et le processus électoral. Renforcer l’enseignement de l’éducation civique, c’est donc trouver les moyens d’établir un lien entre les sujets qui leur tiennent à cœur et la manière d’utiliser notre organisation politique au Canada pour défendre ces sujets.

Dimitri Pavlounis : Pour que l’éducation civique ait un sens dans la vie des élèves, il faut qu’ils en perçoivent la pertinence hors des murs de l’école. L’école est un des lieux essentiels de l’apprentissage de la citoyenneté, mais il n’est pas question de faire peser tout le poids de ce dernier sur le système éducatif.

Dans un cadre spécifiquement scolaire, nous remarquons que certaines provinces font explicitement de la citoyenneté l’objectif plus large de l’éducation. La plupart des provinces et territoires considèrent en effet la citoyenneté comme une compétence transversale. Si l’on ne fait qu’observer les objectifs fixés dans les documents officiels, tout semble bien aller.

Mais en pratique, les ressources mobilisées pour l’éducation à la citoyenneté sont insuffisantes. Alan Sears, qui est comme moi un acteur de l’éducation à la citoyenneté ici à Fredericton, a qualifié cette mesure de « mandat sans financement ». Étant donné que le personnel enseignant reçoit peu de soutien pour atteindre les objectifs fixés, la citoyenneté n’est plus une priorité. La qualité de l’éducation civique est souvent tributaire des priorités et des intérêts de chaque enseignant, et qui était la norme il y a quelques dizaines d’années, comme Greg l’a mentionné.

Il y a en effet au Canada du personnel enseignant chevronné dans ce domaine et qui l’enseigne très bien, mais cette présence est répartie de manière extrêmement inégale. C’est un aspect sur lequel il faudrait véritablement se pencher. Pour revenir à l’argument d’Heather, une grande partie de ce phénomène est dû aux enseignantes et aux enseignants eux-mêmes, à savoir à leur intérêt et à leurs connaissances générales.

L’une des choses qui m’a frappée est le manque de formation sur ces sujets. Lors de notre enquête auprès du personnel enseignant, seul un quart d’entre eux se disaient « plutôt d’accord » pour affirmer que leur parcours de formation comprenait une unité structurée dédiée à l’instruction civique et à la citoyenneté. Cette affirmation vaut même pour les trois provinces dans lesquelles est officiellement proposé un cours d’éducation civique au secondaire.

Peut-être part-on du principe que du fait de leur statut de citoyen, ils savent par extension comment enseigner la notion de citoyenneté, ce que je trouverais aberrant. Nous avons parlé au personnel formateur de futurs enseignants et enseignantes; qui a constaté que ces jeunes enseignants de 22 ans ont à l’entrée de leur programme le même niveau de connaissances en éducation civique que leurs élèves de quatrième année.

C’est toutefois un enjeu structurel et il ne s’agit pas de reporter la faute sur le corps enseignant. Quand l’enseignant n’est pas formé, comment va-t-il enseigner l’éducation civique – s’il ne connaît même pas les trois niveaux de gouvernement ou qu’on ne lui a jamais demandé de réfléchir sur la citoyenneté? Nous avons intégré des formations comme celles proposées par le Forum, mais il n’est malheureusement pas possible d’y faire participer tout le personnel enseignant du pays.

Heather Lank : Oui, tout à fait Dimitri, j’aimerais beaucoup que ce soit possible. Il est intéressant que vous évoquiez la nécessité de penser à un cadre, à ce que nous voulons évaluer, et aux domaines qui nécessitent selon nous une amélioration. Le fait de réduire ou de limiter l’éducation civique au seul taux de participation aux élections la simplifie d’une manière qui n’est probablement pas adaptée à la notion plus large de citoyenneté.

Participer à la démocratie entre les élections peut avoir une importance aussi grande que de se rendre aux urnes. Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire? L’une des choses que je fais est de sensibiliser le public sur la possibilité de participer aux travaux du Parlement par le biais de ses comités. Cette participation consiste à soumettre des mémoires, à témoigner et à s’entretenir avec les parlementaires entre les élections sur des enjeux politiques spécifiques.

Cette participation est importante et constructive : même si vous n’obtenez pas toujours le résultat escompté, votre avis aura été entendu, et une trace de votre prise de parole sera consignée. Cet avis est susceptible d’éclairer le débat la prochaine fois que cette question sera examinée, et de faire changer d’avis certaines personnes dans l’auditoire.

Beatrice Wayne : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Même si, comme le dit Heather, on n’a pas l’impression que notre point de vue a apporté un changement concret au moment présent, on en retire toujours quelque chose. On apprend à défendre ses intérêts, à s’exprimer à l’écrit, à intégrer possiblement d’autres aspects de l’engagement politique dans son quotidien.

De nombreuses études montrent que la personne qui s’engage par une manifestation ou une pétition ne connaît pas toujours le niveau de gouvernement qu’elle souhaite toucher par cette action. Or il s’agit d’un élément très important à connaitre. Cette connaissance permet d’être entendu en dehors du vote à un niveau local.

J’ajouterais encore un point par rapport à ce qu’ont dit Dimitri et Heather au sujet du manque de ressources chez le personnel enseignant. L’année dernière, tandis que nous travaillions avec le Réseau pour l’enseignement des sciences sociales au Canada, nous avons entendu à plusieurs reprises le personnel enseignant nous dire que les ressources leur manquaient pour rendre l’éducation civique attrayante. C’est en effet entièrement au personnel enseignant ou aux organisations avec lesquelles ils sont en lien de créer des supports motivants, interactifs et intéressants sur l’éducation civique. Il y a un vrai besoin de ce côté-là.

Heather Lank : C’est en tout cas ce que nous avons constaté à la foire aux ressources que nous organisons dans le cadre du Forum. Les enseignantes et enseignants sont avides d’outils leur permettant d’enseigner et de se former.

Dimitri Pavlounis : C’est une question de ressources. Mais même si le personnel enseignant dispose des ressources nécessaires, a-t-il le temps de les mettre en place correctement et efficacement? L’apprentissage par projet prend plus de temps que l’apprentissage à partir d’un manuel, mais il se révèle plus efficace. En Nouvelle-Écosse, le cours d’éducation civique au programme comporte désormais une composante « projet » qui est intéressante car obligatoire pour tout le monde. Le Nouveau-Brunswick s’efforce également de mettre en place un tel dispositif pédagogique. Mais là encore, la tâche prend beaucoup de temps.

Je pense notamment au cours d’éducation civique d’un demi-crédit en Ontario. Qu’est-il possible de faire dans un cours de la sorte? Surtout si les élèves arrivent sans aucune connaissance préalable; quelle pertinence peut-on apporter au contenu en un demi-semestre? Pas grand-chose.

RPC : Vis-à-vis des programmes d’enseignement, de quelle manière pourrions-nous les réviser afin d’améliorer concrètement la façon dont est enseignée l’éducation civique?

Greg Essensa : Je pense qu’il y a encore beaucoup à faire. J’ai défendu cette même opinion dans mes commentaires au parlement. Nous enseignons cette matière en 5e et en 10e année. Je trouve que le programme de ٥e année a totalement sa place : cela me paraît être le bon âge pour commencer à parler aux jeunes de citoyenneté, de vote et de l’importance du processus démocratique en Ontario, et au Canada.

Mais là où je pense que nous pouvons faire plus, c’est au niveau de l’enseignement secondaire. J’ai récemment fait la recommandation au parlement d’intégrer l’éducation civique aux quatre années du secondaire, plutôt que pendant la seule 10e année. Ne pas le faire est mettre un terme prématurément à l’instruction civique d’un jeune de ١٥ ans qui est encore loin de pouvoir voter. Des études universitaires ont montré que si l’on arrive à ce qu’une personne de ١٨ ans vote, il y a toutes les chances pour que cette personne devienne un électeur « permanent ». Si nous manquons le coche, il sera bien possible qu’on ne la revoie plus avant son 30e anniversaire.

Il est très important de sensibiliser les jeunes au vote et de s’assurer qu’à leur majorité ils soient inscrits sur les listes, pour que lors de la première élection – provinciale, municipale ou fédérale –, ils exercent une première fois leur droit de vote, pour devenir si possible de futurs électeurs et futures électrices, en Ontario et au Canada, pour le reste de leur vie.

Diane Vautour : En Ontario, nous avons la chance d’avoir un cours d’éducation civique obligatoire dans le programme d’études secondaires dont Greg a parlé. Je suis toutefois d’accord avec Dimitri pour dire qu’il voit les choses trop rapidement et qu’il est trop court. Si l’on en faisait un cours d’une année, il serait possible d’y intégrer tous les éléments voulus par le gouvernement, à savoir des compétences en recherche, réflexion, culture numérique et participation citoyenne, ainsi que toutes les connaissances sur le fonctionnement du gouvernement et la manière de le solliciter. Or couvrir tout ce contenu en neuf semaines est impossible. Et je suis d’accord avec Greg; il serait bien que nous enseignions cette matière l’année où le droit de vote leur est accordé.

L’avantage d’un jeune de 15 ans toutefois, c’est qu’ils ne sont pas encore « blasés » – ils n’ont pas cette attitude désabusée. Il y a encore chez eux une curiosité et une soif d’apprendre. Il s’agit donc de leur donner les bases nécessaires pour susciter chez eux la passion de la politique ou un intérêt pour la citoyenneté. En vérité, c’est une très courte fenêtre de temps qui, si nous manquons, est manqué à jamais.

Il y a par ailleurs une forte demande. Le personnel enseignant dans cette matière présente une véritable volonté de faire son travail, mais il n’est pas soutenu par les conseils scolaires ni par le ministère, qui ne leur accorde pas des heures dédiées à la matière ou ne leur propose pas de formation continue. À dire vrai, je crois que cela n’a jamais existé de toute ma carrière. Il leur est peu accordé d’attention ou de financement, contrairement aux mathématiques, aux sciences ou à tout autre cours de STIM.

Il s’agit pourtant d’un phénomène qui touche tous les jeunes et qui a des répercussions sur notre société dans son ensemble. Depuis la pandémie, nous avons constaté une recrudescence de la désinformation, des idées fausses et une profusion de luttes différentes. Les élèves doivent pouvoir apprendre à s’y retrouver, et ceci dans un espace où ils se sentent en sécurité. C’est la raison pour laquelle on devrait selon moi accorder plus d’attention et de financement à l’enseignement de l’éducation civique, et en reconnaître son importance.

Beatrice Wayne : Je me joins aux avis de Dimitri et Diane : on pourrait bien sûr réfléchir sur ce que nous pouvons faire de neuf en classe, mais tout est lié au financement et aux ressources. Le financement alloué est bien souvent ponctuel; il est donc très difficile d’élaborer et de mettre en place des programmes sur le long terme lorsque l’on ne peut pas compter sur un financement régulier. Dans un monde idéal, nous disposerions d’une initiative fédérale qui allouerait à l’éducation civique un financement permanent, éventuellement par l’intermédiaire de Patrimoine Canada ou simplement par un financement régulier, pour que nous puissions élaborer et mettre à l’essai de vrais programmes. Nous savons déjà ce qui fonctionne bien, mais nous n’avons pas accès à la recherche et la mise à l’essai sur du long terme qui permettraient d’apporter des améliorations et de les perfectionner.

En outre, comme l’a dit Dimitri, l’apprentissage par l’expérience a plus d’efficacité. Pensons par exemple à une initiative comme le Project Citizen aux États-Unis, où les élèves s’intéressent à un problème politique dans leur quartier, font des recherches, trouvent une solution, identifient l’administration compétente et défendent leur solution auprès de cette dernière. Ce type d’enseignement basé sur des projets est l’un des meilleurs moyens de donner un intérêt aux élèves pour la politique. Mais il faut des fonds, de la formation et des ressources pour que le personnel enseignant puisse mettre ce type d’activité ou d’autres dispositifs de classe en œuvre, comme un mini-public ou un budget participatif. Il s’agit là d’idées formidables à mettre en place, mais qui ont besoin d’être financées.

Heather Lank : Je me joins à ces réflexions : la question du coût et du financement doit être prise en compte. C’est pourquoi nous avons délibérément choisi de ne pas faire payer les utilisateurs pour bon nombre de nos ressources, afin que leur coût ne soit pas un obstacle. Nous avons par exemple mis en place un outil d’éducation civique nommé Parlement : L’expérience en classe, une visite en réalité virtuelle du Parlement – que nous avons lancé au début de cette année. Nous fournissons gratuitement au personnel enseignant de tout le pays des lunettes et une trousse de réalité virtuelle, accompagnées de guides pédagogiques et de tous les outils dont un enseignant pourrait avoir besoin pour faire découvrir à ses élèves le Parlement, l’édifice du Centre, le Sénat et la Chambre des communes. Cet outil permet de faire découvrir la démocratie et le travail parlementaire de manière originale et dont nous savons qu’elle intéresse les jeunes.

Nous venons également de lancer à Ottawa Parlement : L’expérience immersive, un outil avec lequel les élèves peuvent vivre une expérience multimédia à 360 o du Parlement. Ce dispositif n’est pas réservé qu’aux classes. Il s’adresse à des publics de tout âge, et autant aux citoyennes et citoyens canadiens qu’aux touristes d’autres pays – bref, à tout le monde. Là aussi, nous avons décidé de ne pas imposer de droits d’entrée, car nous ne voulions pas que le coût soit un obstacle.

Dimitri Pavlounis : J’adhère entièrement à l’importance de l’apprentissage par l’expérience et de l’apprentissage authentique, et à la nécessité de donner au personnel enseignant les moyens de le mettre en œuvre. Leur permettre de le faire, en y donnant la priorité en classe. On entend souvent les enseignantes et les enseignants nous dire : « Le programme scolaire nous assure que la citoyenneté est au cœur de l’éducation, mais dans la réalité, on nous dit qu’il faut donner la priorité à la lecture, à l’écriture et au calcul ». Je ne sais pas d’où vient l’idée que l’alphabétisation n’a pas de lien avec l’éducation civique, mais il n’y a rien de fondé là-dedans. Il est tout à fait possible d’enseigner la lecture, l’écriture et le calcul sous le prisme de l’éducation civique.

La question civique fondamentale demeure : comment vivre ensemble en société? Or cette question est transversale. L’idéal serait d’envisager de traiter toutes les matières sous l’angle de la citoyenneté. En cours de sciences, pourquoi ne pas réfléchir à la manière dont ce qui est appris peut contribuer à des enjeux plus larges de citoyenneté? Dans une classe de STIM ou de technologie, pourquoi ne pas aussi penser à la réglementation de l’IA? Il est facile d’intégrer ces débats à l’enseignement : il s’agit simplement d’ajuster le cadre pour que la matière soit davantage axée sur la citoyenneté et la démocratie.

Beatrice Wayne : De nombreuses expériences novatrices ont été menées dans ce domaine, en particulier aux États-Unis. Il existe des recherches intéressantes qui montrent que les élèves des STIM votent beaucoup moins que les autres élèves, parce que l’importance civique de ce qu’ils étudient n’est pas mise en avant dans leurs études. Il ne s’agit pas de tout réduire au vote, mais c’est là un des paramètres que nous pourrions utiliser pour évaluer les affinités d’une personne avec la politique. Et intégrer cet aspect de l’éducation civique à la classe augmenterait le taux de vote dans les classes de STIM.

Heather Lank : Il convient également de mentionner le contexte plus large dans lequel s’inscrit cet enseignement. Nous vivons dans un monde où les jeunes sont – entre autres – exposés à des médias sociaux fortement politisés, et nourris par des algorithmes. Ce sont des sources d’information peu fiables. Peut-être devrions-nous promouvoir et repenser l’enseignement de l’éducation aux médias, de la réflexion critique et de l’analyse des sources. En effet, si nos citoyens agissent sur la base d’informations erronées, la participation citoyenne pose problème.

Dimitri Pavlounis : La définition de l’éducation civique est en train de s’élargir. Elle dépasse maintenant l’apprentissage du système démocratique et du fonctionnement du gouvernement, ce qui est en principe une bonne chose. En revanche, les attentes à l’égard de l’enseignement se multiplient, tandis que le temps imparti au personnel enseignant s’amenuise. Dans certaines provinces, la littératie financière, par exemple, doit être enseignée dans le cadre de la citoyenneté. Au Québec encore, l’éducation sexuelle est enseignée dans le cadre du nouveau cours « Culture et citoyenneté québécoise ». Il en ressort une tension entre les objectifs fixés et le temps et les ressources allouées.

L’autre élément qui me semble important dans l’éducation à la citoyenneté est de dissiper le mythe selon lequel la participation citoyenne est avant tout une question de connaissances, que l’on entend souvent ainsi : « Si seulement les gens comprenaient comment fonctionne le gouvernement, ils participeraient davantage. » Or, ce n’est pas le cas. Il existe de nombreuses raisons historiques, sociales et culturelles pour lesquelles un jeune se désintéresse de la politique, et le simple fait de lui enseigner « ce qu’est la politique » n’y changera rien. Je pense que cela nous ramène à un point déjà mentionné : comment amener les élèves à acquérir des connaissances politiques au moyen d’un contexte qui les intéresse? Comment les inviter à réfléchir sur ce que leur apporte ce savoir dans leur quotidien?

Beatrice Wayne : Je pense que c’est la raison pour laquelle la recherche et les acteurs du domaine parlent d’intentionnalité civique plutôt que d’éducation civique, ce terme reflétant le cadre plus large dans lequel est tenté d’intégrer une connaissance des différents paliers de gouvernement.

RPC : Quel est le rôle du législateur et des organisations à but non lucratif d’action citoyenne dans l’engagement des jeunes et la sensibilisation à la participation citoyenne au sein de la société en général? Quels sont les défis qui en découlent?

Greg Essensa : Je pense qu’il existe une réelle possibilité d’impliquer les jeunes dans le processus, de leur faire comprendre les enjeux, de leur faire comprendre ce que chaque candidat et chaque parti politique offrent quant à leur manière d’envisager la gouvernance de notre province, à savoir l’Ontario. Mais, comme mentionné précédemment, avoir une voix et pouvoir participer au processus démocratique n’est pas à réduire au simple vote.

Lors de mes différentes interventions, je précise aux élèves qu’il existe de nombreuses façons de s’impliquer dans le processus démocratique. Travailler avec nous en est une : à chaque élection générale, nous engageons 55 000 personnes. Nous sommes en constante recherche de potentiels employés. Par ailleurs, les partis politiques sont toujours à la recherche de personnes pour les soutenir. Si vous croyez en la cause d’un parti ou d’un candidat en particulier, ou que vous vous y intéressez, ces derniers sont toujours à la recherche de personnes pour s’impliquer dans la campagne et aider les candidats à faire du porte-à-porte. Il existe de nombreux programmes d’ONG, ou des programmes comme Vote Étudiant, dans lesquels les élèves peuvent s’impliquer et organiser avec leur école des simulations d’élections.

La mobilisation des jeunes est un investissement à long terme. Il faut faire en sorte qu’au moment de voter, et qu’en participant au processus démocratique, les jeunes se sentent des citoyens à part entière.

Diane Vautour : J’ai beaucoup d’expérience dans le domaine, étant donné que j’ai travaillé pour des organismes très variés. J’ai travaillé avec le Centre Samara, CIVIX, Élections Ontario, Élections Canada et le ministère. Je pense qu’il serait bon de se réunir et d’élaborer une définition commune de ce que l’on entend par participation citoyenne. Quels devraient être les objectifs à atteindre pour les élèves de 10e année ou en fin d’études secondaires? Ma conception de la participation citoyenne risque d’être très différente de celle d’un acteur tiers.

Il existe également un sentiment de concurrence entre ces organismes pour obtenir leur « part du marché », pour ainsi dire. Ce qui est compréhensible dans une certaine mesure. Chaque fois qu’un manque est à pallier au niveau pivot du ministère, il est comblé par une foule d’organismes différents qui tous s’essaient à faire de très bonnes choses. Mais pour un enseignant qui n’aurait pas beaucoup d’expérience en matière d’éducation civique ou de temps, il est nécessaire d’avoir une orientation principale pour ne pas faire des choses qui dépassent les jeunes ou qui n’ont jamais été enseignées dans le cadre de l’éducation civique.

Il me semble que nous avons manqué une occasion d’établir un lien avec les conseils d’élèves au secondaire. D’après mon expérience avec Élections Ontario, le Québec semble faire beaucoup mieux, ce qui mérite de les saluer! Ils envoient des boîtes à outils sont à leurs conseils d’élèves, et il y avait avant un grand congrès auquel participaient tous les conseils d’élèves de la province, et où l’on échangeait des idées pour favoriser la participation des élèves et créer des environnements scolaires démocratiques.

Il aurait semblé évident de cibler les conseils d’élèves et d’organiser des événements pour ces derniers. Mais ça n’a apparemment pas eu lieu. Peut-être est-ce le cas dans les petites villes de la province, mais je n’ai en tous cas jamais vu cela se produire à Toronto. Il y a une certaine fixation à vouloir se concentrer sur le personnel enseignant. Or il n’est pas toujours nécessaire de le faire. Oui, il faut un enseignant pour faciliter la transmission, mais on devrait aussi donner les moyens d’agir aux élèves eux-mêmes. À celles et ceux qui manifestent de l’intérêt pour devenir des porte-parole. Il faudrait les mettre en avant.

L’engagement, c’est notamment être impliqué dans un projet d’action citoyenne. Si l’on se rabat par manque de temps sur une base de données d’activités existantes pour trouver son projet de classe, il est fort possible qu’il y ait peu d’incidence de ce projet dans la réalité. C’est ce que j’appelle l’effet « Me to We » de la participation citoyenne. Cette idée s’est vraiment imposée pendant de très nombreuses années. L’accent a été mis sur la dimension mondiale – ce qui est très bien –, mais la participation citoyenne doit aussi commencer dans son quartier, son école et sa communauté, avant de pouvoir l’étendre à l’extérieur, à l’échelle mondiale – ou de pouvoir avoir ces deux niveaux fonctionnant en parallèle. C’est manquer une occasion d’apprentissage que de ne pas demander aux élèves de recenser les projets d’action existants et passés. Bien souvent, ils sont dépassés lorsqu’on leur demande d’entreprendre un projet d’action citoyenne. À la suite de ça, ils finissent par dire qu’ils « ne peuvent pas changer le monde. »

Il faut trouver de petites initiatives comme modèles. Par exemple, un habitant de Toronto a réalisé un petit documentaire « Citizen Minutes » pour Hot Docs, avec pour but que l’affichage des panneaux publics de la ville soit changé, pour les rendre plus accessibles. Le langage utilisé n’est en effet pas d’un niveau de lecture accessible à tous. De plus ils sont peu attrayants; ils ont un aspect peu attrayant : ce sont de grands panneaux destinés à être installés sur des complexes immobiliers, et personne ne les lit, alors qu’ils sont très importants pour les quartiers. L’idée de la vidéo visait simplement à les améliorer, ce qui est déjà un grand pas. Mais une enseignante ou un enseignant qui n’a pas d’engagement citoyen ne pensera pas à ce genre de choses, et ira plutôt se demander comment aller construire une école au Guatemala. Ce qui est très bien en soi, mais cette réflexion doit aussi s’accompagner d’initiatives entreprises localement.

Dimitri Pavlounis : Je pense que cette idée, qui prend constamment de l’ampleur, de la « partisanerie » ou d’un sujet jugé trop politique pour la classe est un fardeau pour le personnel enseignant avec lequel nous travaillons. Les pratiques exemplaires nous préconisent un enseignement de l’éducation civique authentique; et la recherche montre que les élèves tirent un grand profit des débats en classe sur des questions politiques complexes. Mais à notre époque, beaucoup de questions dont les jeunes veulent débattre sont extrêmement controversées, et l’on y lit parfois, dans les questions elles-mêmes, de la partisanerie ou un parti pris politique. Certains enseignants et enseignantes nous ont confié qu’on les dissuadait largement d’aborder certaines questions en classe, même si ces questions étaient au cœur des préoccupations des élèves. Ceci peut s’avérer problématique. Nous souhaitons soutenir le personnel enseignant et l’encourager à dispenser un enseignement conforme à des pratiques exemplaires fondées sur des données objectives; mais en fin de compte, c’est à lui que revient de dispenser les programmes et de faire face à toute réaction négative, d’où qu’elle provienne.

Heather Lank : Ce sont parfois les opinions les plus extrêmes qui font le plus de bruit, en effet. La remarque de Dimitri sur le parti pris politique est un sujet auquel nous avons été confrontés à la Bibliothèque du Parlement. Or notre travail n’est possible que si nous avons la confiance de tous les partis politiques, sans exception. Si nous perdons cette confiance, nous n’avons plus qu’à fermer boutique. On doit pouvoir être capable de dire des choses avec lesquelles les gens peuvent être en désaccord, mais sans que cela devienne un parti pris.

Il y a de cela maintenant plusieurs années, alors que je travaillais encore au Sénat, la Bibliothèque a souhaité mettre en place une simulation de comité dans le cadre de l’élaboration du programme du Forum. La simulation a été mise en place autour d’un projet de loi fictif nommé « Projet de loi sur les légumes ». Il s’agissait de décider des légumes à interdire à table. Il était possible d’y apporter des modifications, par exemple en proposant l’ajout de brocolis ou la suppression des choux de Bruxelles.

Cette simulation a permis d’expliquer le processus parlementaire, et les enfants se sont beaucoup impliqués dans le débat. Les jeunes revêtaient différents rôles, comme celui des producteurs de légumes. Ce projet de loi a été élaboré de manière à ce qu’il soit le moins polémique possible. Ainsi, tous les concepts ont pu être saisis sans que cela n’entraîne de plaintes de la part des parents ou d’une autre personne. Dans une atmosphère politique tendue comme la nôtre, nous devons faire preuve de créativité et de réflexion dans l’élaboration de notre contenu. Se retrouver avec des personnes qui ont peur d’exprimer leur opinion est l’exact opposé de ce que nous souhaitons transmettre à propos de l’engagement citoyen.

Beatrice Wayne : Heather, j’approuve complètement sur la nécessité de faire preuve de créativité dans la manière d’aborder ce sujet et de le faire sans exclure ou sans qu’on se sente en dehors de la discussion ou du processus politique. Mais je m’inquiète aussi de l’attitude qui consiste à essayer d’éviter tout ce qui pourrait être potentiellement polémique. Je pense réellement qu’il nous faut être capables de savoir repérer et tester des stratégies de classe qui nous permettent d’avoir des débats constructifs sur des sujets difficiles, et de faire en sorte que tout le monde ait le sentiment d’être entendu de manière respectueuse. C’est un long processus d’apprentissage par l’essai et l’erreur, et beaucoup d’investissement, mais voilà l’objectif.

Heather Lank : Je partage absolument votre avis là-dessus. Il ne s’agit pas de vider les discussions de tout sens pour en faire des discussions sans embûches. Dans le cas du projet de loi sur les légumes, celui-ci s’adressait à de jeunes enfants qui se soucient probablement beaucoup des légumes qui se trouvent dans leur assiette à l’heure du souper. Ce n’est pas le projet de loi que nous proposerions nécessairement à des jeunes de 18 ans!

RPC : Voudriez-vous ajouter quelque chose pour conclure?

Diane Vautour : Il existe un excellent organisme, qui est la Youth and Philanthropy Initiative (YPI). Allez voir sur leur site, ypi.org. Je crois que cet organisme comprend bien la situation. Il n’est pas forcément très remarqué, mais il sait faire en sorte que les jeunes se sentent concernés par la matière qu’ils apprennent, ainsi que faire participer tout le monde et pas seulement les enfants très à l’aise. Tout jeune peut réussir à y participer, et l’enseignante ou l’enseignant sait qu’il pourra mettre en place le projet parce qu’il est soutenu par l’organisme. Le Centre Samara, également, fait un travail remarquable. C’est un autre type de public, donc un autre type d’objectif. Mais cet organisme aussi sait ce qu’il fait. Je voudrais donc simplement saluer leur travail. Beau travail Beatrice!

Greg Essensa : Je pense qu’il est très bon que la Revue parlementaire canadienne remette ce sujet sur la table aujourd’hui. C’est un sujet essentiel. Les jeunes sont l’avenir de notre province, mais aussi de notre pays. Nous tenons à ce qu’il y ait une réflexion sur la manière de les impliquer, de les faire participer et de faire en sorte qu’ils deviennent de véritables citoyennes et citoyens exerçant leur droit de vote, au Canada et en Ontario. Je salue donc le conseil de rédaction de la Revue parlementaire canadienne pour avoir organisé ce débat, car je pense très franchement que nous ne discutons pas assez des différents angles et méthodes qui permettraient d’inciter les jeunes à devenir des acteurs de la démocratie.

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