Se retirer de façon désintéressée : la bienveillance d’un député pour le « double couronnement » d’un autre

Article 11 / 11 , Vol. 47 No. 1 (Printemps)

Se retirer de façon désintéressée : la bienveillance d’un député pour le « double couronnement » d’un autre

Les deux premières députées de l’Ontario ont fait face à un dilemme. Qui serait assermentée en premier? La femme dont le nom de famille lui donnait la priorité? Ou la femme qui, si elle était assermentée en premier, serait connue comme la première femme parlementaire élue au niveau fédéral et provincial en Ontario? Voici l’histoire de l’altruisme d’une femme et de l’exploit inédit de deux femmes.

Kaitlin Gallant

C’était l’été 1943 et l’Assemblée législative de l’Ontario débordait d’enthousiasme et d’excitation. La 21e législature venait d’être élue et ce fut un moment historique dans la politique canadienne et ontarienne. Le Parti progressiste-conservateur, dirigé par George Drew, a formé un gouvernement minoritaire – le début de la remarquable campagne de 42 ans de ce parti au pouvoir. La Fédération du Commonwealth Coopératif (FCC) a fait avancer les choses en formant l’opposition officielle pour la première fois, tandis que les libéraux qui gouvernaient auparavant ont reculé au troisième rang.

Ce qui est encore plus excitant, cependant, c’est que deux nouvelles députées provinciales, Rae Luckock et Agnes Macphail, venaient de passer à l’histoire en devenant les premières femmes à occuper des sièges à l’Assemblée législative de l’Ontario.

Rae Luckock et Agnes Macphail n’en étaient pas à leurs débuts pour ce qui est de briser les barrières. Agnes Macphail avait déjà marqué l’histoire en 1921 en devenant la première femme élue à la Chambre des communes à Ottawa. Rae Luckock, pour sa part, avait été commissaire d’école à Toronto et militante pour la justice sociale et la paix.

Bientôt, elles devaient prêter leur serment d’office en tant que députées provinciales. Pourtant, en se préparant pour la cérémonie d’assermentation, un dilemme s’est présenté.

Selon le protocole parlementaire, Luckock devrait être assermentée en premier parce que son nom de famille précédait Macphail en ordre alphabétique. Comme les deux femmes étaient membres de la Fédération du Commonwealth Coopératif, les hauts fonctionnaires de leur parti ont encouragé Luckock à prêter serment après Macphail, même si elle avait le droit d’être assermentée en premier.

Le parti a fait grand bruit du « double couronnement » de Macphail, étant la première femme députée à Ottawa et à Queen’s Park. Par altruisme, Luckock a accepté de veiller à ce que sa collègue pionnière soit la première femme à être assermentée1.

Les deux femmes, désormais liées par l’histoire, ont défendu leurs causes à Queen’s Park avec beaucoup de détermination, sachant qu’elles avaient abattu une barrière qui existait depuis beaucoup trop longtemps.

Fait intéressant, leur lien ne s’étendait pas à une relation particulièrement chaleureuse en tant que collègues du caucus. Dans un profil d’Active History intitulé « A woman erased from history: The ghosting of Rae Luckock », Dean Beeby raconte que les collègues de la FCC de Luckock ont commencé à miner ses efforts en coulisse. « C’est Agnes Macphail qui a mené la charge [traduction] », écrit-il. « Macphail n’aimait pas beaucoup Rae, pour des raisons qui ne sont toujours pas claires ». « Elle a essayé de s’entendre avec Agnes Macphail, mais Agnes était la femme d’un homme », Richard [le mari de Luckock] se souvient-il. « Chaque fois que Rae avait une question sur quelque chose, Agnes disait “renseigne-toi en lisant sur le sujet”. Elle n’a jamais reçu de conseils sur quoi que ce soit2. »

En dépit de l’animosité qui régnait entre les deux députées, elles ont toutes deux apporté une contribution importante au parlement. Mme Macphail a défendu avec vigueur l’égalité des sexes et l’équité sociale et a joué un rôle déterminant dans l’adoption de la première loi ontarienne sur l’équité salariale, la Employees Fair Remuneration Act of 19513. Mme Luckock a occupé le poste de porte-parole en matière d’éducation au sein de leur parti, où elle a défendu l’idée des universités sans frais de scolarité et de l’amélioration de l’éducation en milieu rural. Elle a ardemment appuyé l’égalité des sexes en préconisant une rémunération égale pour un travail égal et en reconnaissant la valeur de la contribution des personnes au foyer4.

Elles ont inspiré des générations de femmes à suivre, en veillant à ce que la voie qu’elles avaient tracée mène à un avenir meilleur sur le plan de l’égalité et des progrès dans la politique canadienne. L’altruisme de Mme Luckock a permis à Agnes Macphail de revendiquer le titre de première femme parlementaire « couronnée en double », mais le travail de ces deux femmes a ouvert la voie à d’autres femmes.

Notes

1 Michael Dawber, After You, Agnes… Mme Rae Luckock, députée provinciale, Quinte-Web Press, Tweed, 1994, p. 33.

2 Dean Beeby, « A woman erased from history: The ghosting of Rae Luckock », Active History, 12 décembre 2022, https://activehistory.ca/blog/2022/12/12/a-woman-erased-from-history-the-ghosting-of-rae-luckock/.

3 Agnes Campbell Macphail, députée de 1943 à 1945 et de 1948 à 1951, https://www.ola.org/fr/photo/agnes-campbell-macphail-mpp-1943-48-1948-51.

4 Rae Luckock, députée de 1943 à 1945, https://www.ola.org/fr/photo/rae-luckock-mpp-1943-1945.

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