Solidarités libératrices : constellations de co-résistance au sein du Parlement
Les solidarités libératrices sont les relations quotidiennes entre les personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC), dans lesquelles elles cherchent à s’affirmer et à se lier les unes aux autres en s’opposant à la logique de domination. C’est le plaidoyer fondateur et quotidien, de même que la résistance nécessaire à un changement transformateur. De même, ce sont ces relations positives qui permettent d’exprimer et de partager de nouvelles connaissances afin de faire progresser de manière tangible les stratégies et les solutions en matière d’action transformatrice. En même temps, les solidarités libératrices sont le travail invisible et émotionnel nécessaire afin de veiller au bien-être des organisateurs PANDC afin de poursuivre ce travail chaque jour. En fin de compte, cette recherche cherche à comprendre si les députés racialisés sur la Colline font preuve de solidarités libératrices qui affirment leur sentiment d’appartenance et de bien-être sur la Colline et soutiennent leur travail politique pour la justice sociale. Elle soutient que les députés des communautés PANDC à la Colline démontrent des solidarités libératrices à travers les lignes de parti, alignées sur les diverses conceptions des partis concernant l’espace et la justice sociale. Leur compréhension de ces solidarités, ainsi que la nature et la mesure dans laquelle ils les manifestent et s’investissent, sont formulées différemment selon les partis.
Rayna Charanjit Sutherland
Introduction
Les espaces d’organisation de la base dépendent et sont construits sur les connexions, les relations et le travail émotionnel des militants racisés engagés dans des visions de justice sociale et une vision hors de l’ordre social actuel structuré par la logique de domination. Dans ce cas, la logique de domination fait référence aux structures d’oppression qui se chevauchent et qui façonnent notre ordre social et notre monde, telles que le racisme, le sexisme, le capacitisme, l’islamophobie, le colonialisme, l’homophobie, la xénophobie, le colonialisme, etc. Dans l’invisible du quotidien, les organisateurs racisés sont en relation entre eux et entretiennent des rapports interpersonnels en s’opposant aux structures d’oppression, intentionnellement, et dans leur effort collectif pour transformer ces structures dictatoriales1. Là où les corps racisés sont dévalorisés et rejetés, les personnes noires, autochtones, sud-asiatiques et latino-américaines créent des relations spatiales qui s’affirment mutuellement, veillent au bien-être des uns et des autres et partagent des connaissances et des stratégies pour faire progresser la justice sociale. Ce sont les intimités libératrices qui sont à la base de ces mouvements. Ces connexions minuscules et discrètes remettent en question la rigidité dans laquelle les corps racisés sont codés et agissent comme des étoiles qui s’agrègent en une constellation de connexions, de partage de connaissances et de réciprocité nécessaires à la justice sociale2.
Alors que la nature personnelle et désordonnée de ces intimités éthiques a été documentée au niveau local, il n’est pas clair si et comment ces relations existent dans l’organisation politique sur la Colline du Parlement3. Le Parlement est le centre de tant de structures de pouvoir contraires à la libération, mais c’est aussi une institution où beaucoup travaillent à remettre en question ces structures de pouvoir, qui saturent le Canada, de l’intérieur. Si c’est le cas de cet espace, il se peut également que les solidarités libératrices fournissent aux députés PANDC au Parlement les soins et le bien-être qui leur sont dus pour rester au Parlement, et ce, en tant que plaque tournante des structures de pouvoir qui les dévalorisent activement. En outre, ces relations peuvent, et pourraient, constituer les fondements de constellations de co-résistance, essentielles à leurs efforts continus de transformation de l’intérieur.
Sachant que ce travail intime et féminisé est souvent rendu invisible, ces solidarités éthiques existent-elles au Parlement et, si oui, quel est leur impact? Ces solidarités libératrices peuvent-elles aider les députés PANDC à s’affirmer et à trouver un sens à ce lieu qui cherche à les déplacer et à les rendre sans valeur ni signification? Ces solidarités libératrices peuvent-elles contribuer à faire évoluer les députés et le Parlement vers de nouvelles formes de connaissances, de stratégies et de solutions de transformation?
En fin de compte, cette recherche cherche à comprendre si les députés racialisés sur la Colline font preuve de solidarités libératrices qui affirment leur sentiment d’appartenance et de bien-être sur la Colline et soutiennent leur travail politique pour la justice sociale. Je soutiens que les députés des communautés de personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) à la Colline démontrent des solidarités libératrices à travers les lignes de parti, alignées sur leurs diverses conceptions de l’espace et de la justice sociale. Leur compréhension de ces solidarités, ainsi que la nature et la mesure dans laquelle ils les manifestent et s’investissent, sont formulées différemment selon les partis.
Cadre théorique
L’espace doit être compris en même temps que le pouvoir et la conquête4. La production d’espace maintient un monde inégal, matériellement et philosophiquement, selon les hiérarchies de la suprématie blanche, du capitalisme racial et de l’hétéropatriarcat. Ces « conditions violentes de conquête » façonnent la formation d’espaces qui reflètent les dynamiques de pouvoir endémiques à nos sociétés et deviennent des lieux par lesquels le pouvoir se transmet et les relations se nouent5. L’espace peut être constitué d’une manière qui non seulement reconnaît l’assujettissement de la vie des communautés PANDC, queers, trans et démunies, mais qui insiste également sur le fait que ces « généalogies spatiales alternatives offrent des cadres intégraux pour comprendre l’espace lui-même »6. De cette manière, les communautés PANDC « médiatisent, perturbent et refusent la conquête et la carcéralité de la violence des conquistadors à travers l’espace grâce à des relations spatiales intimes qui permettent aux peuples noirs et autochtones de tisser la trame d’un changement transformateur radical »7. La « vivacité » de leurs corps en tant que « territoire minuscule » peut alors se développer en « constellations spatiales » construites sur ces solidarités libératrices tissées. L’espace est alors considéré comme l’incarnation des interrelations en formation8. Cette échelle incarnée, fondée sur la reconnaissance mutuelle, la confiance et la responsabilité, est la nécessité co-constitutive de l’organisation d’un avenir décolonial et abolitionniste. Une partie de cette théorisation et de ce travail intimes consiste à affronter la peur de la différence pour être ensemble, de manière générative, dans des conversations sur la souveraineté, la coalition et l’éthique, en des termes nouveaux. En d’autres termes, il s’agit de construire de nouvelles formes de connaissance et de nouvelles manières d’entrer en relation et d’être les uns avec les autres.
Daigle et Ramirez affirment que l’organisation à grande échelle, qu’il s’agisse de manifestations ou de blocages, existe en vertu des actions et interactions quotidiennes entre les communautés PANDC, des engagements continus qui sont souvent méconnus, mais essentiels aux efforts de libération. Ce sont ces relations spatiales intimes qui « commencent à briser les impasses entre la vie des personnes noires, autochtones et de couleur, nous permettant de voir et de sentir les façons dont nous nous réunissons pour tisser la trame d’un changement transformateur radical »9. Goeman affirme que le travail de transformation tel que l’abolition et la décolonisation nécessite le démantèlement des structures de pouvoir oppressives qui affectent nos vies au quotidien. Les solidarités libératrices quotidiennes sont le fondement de l’échelle incarnée des mouvements de masse et sont co-constitutives des formes plus visibles d’organisation politique sur le terrain. Il s’agit du travail intime et désordonné si souvent reconnu dans la théorie libératoire et l’activisme. Ce travail émotionnel invisible alimente, entretient et soutient l’activisme et le bien-être nécessaire pour continuer chaque jour. Déplacé et dépolitisé puisqu’il est féminisé, il « peut être considéré comme accessoire bien qu’il soit une composante cruciale de l’organisation »10. Ces travaux intimes, qui font évoluer les communautés vers de nouvelles formes de connaissances, de stratégies et de solutions, sont des espaces politiques et genrés. Ils permettent aux communautés de donner un sens à des lieux qui cherchent à les déplacer et à les rendre sans valeur ni signification.
En bref, les solidarités libératrices sont les relations quotidiennes entre les personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC), par lesquelles celles-ci cherchent à s’affirmer et à se lier les unes aux autres en s’opposant à la manière dont nous sommes socialisés et contraints de considérer les corps racisés. Ce sont les liens d’amis et de collègues PANDC qui affirment la présence et les contributions de chaque personne, en particulier dans des lieux qui cherchent à altérer et à dissiper leurs identités. Les identités et les corps des PANDC sont recadrés à l’extérieur de l’hégémonie de la logique de domination pour promouvoir un récit transformateur et incarner une réalité d’existence faite d’attention et de respect des autres, en vue de démanteler les structures de pouvoir oppressives qui affectent nos vies au quotidien. Il s’agit d’une perturbation quotidienne du pouvoir, enracinée dans une culture générative de prévenance. Lorsque l’on cumule ces modestes relations et actes de résistance au quotidien, ce n’est pas seulement une culture qui surgit, mais aussi le patient labeur nécessaire au changement transformateur. De même, ce sont ces relations positives qui permettent d’exprimer et de partager de nouvelles connaissances afin de faire progresser de manière tangible les stratégies et les solutions en matière d’action transformatrice. Elles permettent également de veiller au bien-être des organisateurs PANDC qui poursuivent ce travail chaque jour.
Méthodologie
Méthode et taille de l’échantillon
Comme cette recherche explore la nature personnelle et désordonnée des relations, de l’organisation et des sentiments d’appartenance des députés PANDC de la Colline, des entretiens semi-structurés ont été utilisés comme méthode principale. Onze entretiens semi-structurés ont été menés avec des députés racisés de tous les partis politiques fédéraux qui en comptent. Les entretiens semi-structurés sont les plus appropriés dans ce cas, étant donné leur structure d’échange mutuel entre le chercheur et le participant à la recherche11. Lorsque l’intervieweur peut s’écarter de l’ensemble des questions pour suivre le récit et la vision du participant à la recherche, il y a une reconnaissance et une possibilité d’explorer le savoir expérientiel en tant que connaissance précieuse. En outre, cela permet au chercheur de se préparer consciencieusement en fonction de la recherche tout en laissant également aux participants la liberté de guider la conversation afin que le chercheur y intègre les répliques appropriées et les questions de suivi12.
Les députés ont été sélectionnés en utilisant la méthode de sondage en boule de neige jusqu’à ce qu’un échantillon représentatif soit réuni. Les députés participants représentent les deux sexes, les anglophones et les francophones, cinq groupes raciaux, cinq religions ainsi que les résidents de cinq provinces et territoires pour représenter l’Est du Canada, l’Ouest du Canada, le Québec et le Nord.
Analyse des données
Les données ont été analysées au moyen de méthodes thématiques inductives et déductives. Tout d’abord, les données ont été examinées dans un cadre initialement exploratoire, et les codes inductifs ont été notés au fur et à mesure qu’ils émergeaient naturellement13. Lors du deuxième examen des données, les codes ont été finalisés en fonction de leur pertinence pour la recherche, ce qui signifie que certains codes inductifs ont été supprimés et que d’autres codes déductifs ont été ajoutés afin de garantir que la question de la recherche recevrait une réponse suffisamment nuancée14. Une fois l’arbre de codification défini et confirmé, toutes les données qui n’avaient pas été analysées par rapport à ce dernier ont été réexaminées. Une fois les codes recueillis, ils ont été répartis en thèmes afin de dégager des liens. Sous cette forme, les thèmes et leurs interrelations ont été interprétés dans leur ensemble afin de générer des implications plus larges.
Positionnalité et limites
Ce projet de recherche est profondément personnel et intimement complexe étant donné qu’il explore des domaines sensibles et personnels tels que les relations, la discrimination, la santé mentale, l’identité et l’appartenance. La réflexion sur la positionnalité est essentielle en ce qui concerne ce sujet ou le récit d’une expérience autre que la nôtre. Étant donné que cette recherche est menée par une personne biraciale d’apparence blanche, cette réflexion sur la positionnalité est d’autant plus importante.
Deux dynamiques sont toujours présentes dans le domaine de la recherche : lorsque le sujet est abordé de l’intérieur (insider) et lorsqu’il est abordé d’une perspective externe (outsider)15. En tant que personne d’apparence blanche détenant une expérience et une compréhension très limitées de l’expérience d’une personne visiblement racialisée, la personne qui mène cette recherche aura toujours une compréhension plus limitée des thèmes personnels comparativement à celle des participants partageant leurs récits, en particulier dans le court laps de temps de cette recherche. Pour obtenir une véritable compréhension, une interaction plus fréquente et poussée avec la communauté serait nécessaire, ce qui n’est pas possible dans le cadre de cette recherche. Inversement, le chercheur espère que le temps qu’il a passé en tant que stagiaire parlementaire dans les bureaux des députés du gouvernement et de l’opposition, tous deux réputés pour leur confiance et leur respect sur la Colline, a créé une certaine « dynamique de l’intérieur ». Son souhait est que les participants se sont ainsi sentis plus à l’aise et en confiance d’intervenir librement, pleinement et honnêtement dans les discussions de cette recherche, malgré son identité visible de personne d’apparence blanche.
Conclusions et discussion
Cette recherche cherche à comprendre si les députés racialisés sur la Colline font preuve de solidarités libératrices qui affirment leur sentiment d’appartenance et de bien-être sur la Colline et soutiennent leur travail politique pour la justice sociale. Comme je l’ai souligné, la théorie des solidarités libératrices est fondée sur une compréhension de l’espace qui est influencée par le pouvoir. Comme nous l’avons vu, le Parlement est le centre de nombreuses structures de pouvoir contraires à la libération. Dans l’optique des solidarités libératrices, il est important d’explorer d’abord de façon générale la façon dont les députés participants conceptualisent la Colline et s’ils ont un sentiment d’appartenance à la Colline ou s’ils se sentent exclus et dévalorisés par l’institution. Par la suite, l’impact des solidarités libératrices elles-mêmes peut être exploré afin de déterminer si elles favorisent un sentiment d’appartenance, si elles perturbent le sentiment d’être exclu par la dynamique de la Colline ou si elles fournissent une base pour s’organiser autour des objectifs de la justice sociale.
Plutôt que de supposer que les députés PANDC sur la Colline sont intentionnellement en relation les uns avec les autres et se rassemblent pour soutenir cet objectif, il est important d’analyser d’abord comment la justice sociale est comprise par les participants et si elle est une priorité pour eux.
Notions et objectifs de « justice sociale »
Les députés conservateurs interrogés ont exprimé leur vision de la justice sociale, celle d’un Canada sans haine, où les nouveaux arrivants et les Canadiens ont accès au « rêve canadien ». La nature de la haine n’a pas été librement développée, pas plus que la racine ou la source de la haine. Ni la xénophobie ni le racisme n’ont été désignés nommément. En d’autres termes, les impacts de la violence structurelle ont été reconnus par les députés conservateurs PANDC, mais le concept d’espace dicté par les structures de pouvoir, conformément à la théorie des solidarités libératrices, n’a pas été inclus dans leur discussion sur la justice sociale au Canada ou sur la Colline. Le discours néolibéral accepté par le parti est porté par la vision d’une « justice » qui est accessible à toute personne, qui ouvre à tous la voie à la prospérité (en y travaillant fort) et qui est indépendante de toute sphère oppressive. En contribuant à cette vision, les députés ont pour objectif d’être la voix des minorités visibles dans ce rêve, de les encadrer et de leur inculquer la confiance et les plateformes nécessaires pour assurer leur propre prospérité.
Les députés libéraux interrogés ont principalement soutenu le discours accepté par le parti sur la cohésion sociale et la représentation en tant qu’indicateur du Canada tel qu’il est et de l’image permanente à rechercher et à défendre. Reconnaissant que de nombreuses communautés au Canada ont été victimes de discrimination en raison de leur genre, de leur race, de leur sexualité, etc., ils ont compris que le moteur du changement était de veiller à ce que toutes ces communautés soient représentées et puissent nouer des liens et collaborer, y compris en s’asseyant à la table du gouvernement fédéral. De là la fierté qui fuse des discours solennels parlant de l’importance d’inaugurer la présence de sa propre communauté sur la Colline ou d’en être un des rares ou premiers représentants qui la visitent. Le désir de servir à titre de député était souvent lié à une volonté de poursuivre un travail communautaire déjà entamé et d’amplifier la voix de sa propre communauté. Les députés ont fait savoir que la participation civique était importante, que le travail politique avait des effets positifs et que la Colline était un lieu où l’on peut servir l’ensemble des Canadiens.
Ainsi, la majorité des députés libéraux ont exprimé une vision de la libération comme celle d’une connexion au-delà des différences et d’une relation avec les autres dans le respect des valeurs inhérentes à l’identité culturelle de chacun, dans un souci d’unité, d’acceptation et de coexistence. Par conséquent, ce discours ne tient aucun compte de la théorie des solidarités libératrices qui consiste à reconnaître avant tout les structures de pouvoir qui commandent notre perception et notre traitement d’autrui et nous ont socialement façonnés de manière à perpétuer l’héritage de la violence structurelle et des hiérarchies. Néanmoins, le discours libéral s’aligne sur la théorie des solidarités libératrices dans les intentions quotidiennes de s’affirmer et d’établir des liens avec les autres différemment de ce que dicterait la logique de domination. Cependant, cette logique n’a pas toujours été nommée ni visée dans les discussions ou les stratégies. Ainsi, dans les discours libéraux et conservateurs, la source du pouvoir n’est pas mentionnée, bien que la vision qu’ils véhiculent soit celle d’une réalité dans laquelle elle ne façonne pas notre expérience collective. Il convient de noter que les structures de pouvoir telles que le racisme, le colonialisme et la suprématie blanche ont été mentionnées par une minorité de députés libéraux.
Enfin, les députés néo-démocrates interrogés considèrent que la justice sociale peut être atteinte grâce à une approche anti-oppressive et à des visions transformatrices. Ils ont exprimé le désir de poursuivre les efforts de décolonisation, de s’atteler au capitalisme et de démanteler la suprématie blanche. Les motifs qui les ont poussés à exercer leur fonction de député comprennent la réduction des préjudices en considérant le Parlement comme une institution qui a infligé et continue d’infliger des préjudices par le biais de l’instrumentalisation du pouvoir. De même, en tant qu’organe central du pouvoir, structuré sur des systèmes d’oppression, ils ont noté l’objectif de perturber le pouvoir et d’« ébranler la classe dirigeante ». Ainsi, le discours du NPD reconnaît que l’espace est façonné par le pouvoir et conçoit la justice sociale comme des actions qui vont intentionnellement à l’encontre des structures de pouvoir, à la fois dans le quotidien, mais aussi, à terme, dans l’intention de transformer ces structures.
Conceptualisation de la Colline et connotations d’appartenance
En ce qui concerne la conceptualisation de l’objectif de la Colline et leurs sentiments respectifs d’appartenance à celle-ci, la rhétorique et les relations varient nettement d’un parti à l’autre.
Tout d’abord, les députés conservateurs interrogés ont indiqué qu’ils pensaient que la discrimination existait, mais qu’ils n’en faisaient pas l’expérience dans les couloirs du Parlement. Au contraire, ces députés ont qualifié le Parlement de lieu où ils se sentent en famille, au sein de leur parti, et considèrent que cette opinion est partagée par l’ensemble de la Colline. Ils ont attribué l’environnement positif de leur parti à leur « système de nomination fiable ».
Parti |
Vision de la justice sociale et raison de travailler |
Domaines d’action en matière |
PCC |
Voix pour la communauté Poursuivre le travail des mentors Leaders communautaires s’attaquant à la haine |
Soutenir l’immigration et améliorer le système d’immigration pour accéder au rêve canadien Insuffler de la confiance aux minorités et leur donner une tribune |
Libéral |
Cohésion sociale Représentation Participation civique et effets positifs de la politique Amplification de la passion pour la communauté et l’aide à autrui |
Améliorer la représentation politique à tous les niveaux |
NPD |
Démanteler la suprématie blanche Décolonisation Réduction des préjudices au Parlement dans son instrumentalisation du pouvoir Perturber le pouvoir et ébranler la classe dirigeante |
Nouveaux droits civils Déterminants sociaux de la santé Lutte contre le racisme envers les Noirs, les brutalités policières, le profilage racial, les contrôles dans la rue et le fichage |
Quelques députés libéraux interrogés ont convenu qu’ils n’avaient pas subi de discrimination manifeste sur la Colline, alors que la majorité d’entre eux ont reconnu avoir vu ou subi des microagressions fondées sur des préjugés raciaux ou sexistes. Dans la plupart des cas, les députés libéraux n’ont pas attribué les préjugés et les microagressions à un sentiment d’exclusion à la Colline, en partie en raison du multiculturalisme global et accueillant au sein de leur groupe politique. Quelques députés ont noté que les préjugés raciaux influencent la mobilité professionnelle ascendante et le bien-être général de certains membres du personnel de la Colline. D’une manière plus générale, la plupart des commentaires décrivaient la Colline en tant que lieu riche de possibilités où les députés adorent travailler et vivre, et où beaucoup se sentent à leur place. Ce sentiment a été largement attribué au caucus libéral représentant cette mosaïque culturelle qu’est le Canada. Il a été reconnu comme l’un des caucus les plus diversifiés, les plus multiculturels et les plus représentatifs du Canada, voire du monde. Le discours libéral en matière de représentation et de multiculturalisme a été attribué au sentiment d’appartenance à la Colline. Les efforts continus en vue d’apporter des événements culturels sur la Colline, ainsi que de relier la diversité des Canadiens à la Colline ont été cités comme une tendance et une norme croissantes. Un député a déclaré que cela a contribué à ce que tout le monde sente que le Parlement lui appartient désormais. Une fois de plus, les députés libéraux ont exprimé des visions de solidarités libératrices dans lesquelles les actes quotidiens affirment la culture des uns et des autres. Au-delà des différences, les échanges culturels promus avec fierté ont transformé un espace qui (selon leurs dires) n’avait pas été conçu pour eux afin qu’ils puissent se l’approprier. De plus, alors que le rôle des structures de pouvoir ayant bâti cette institution de sorte à exclure les organisateurs racialisés n’était pas souligné dans le façonnage de l’espace, ils ont mentionné que l’intention persistante de s’unir contre la logique de domination a suscité un désir de changement. Enfin, les députés néo-démocrates interrogés ont décrit la Colline d’une tout autre manière. Ils l’ont dépeinte comme un endroit où règnent les hommes, la blancheur de peau et un système colonial fondé sur l’« aristocratie terrienne des grands propriétaires fonciers, de la Chambre des communes au Sénat ». Il n’y a pas si longtemps, la condamnation à mort par pendaison de leurs ancêtres s’est déroulée en ce lieu. En raison de ces faits historiques et des systèmes d’oppression permanents et interdépendants qui imprègnent encore la Colline, ces députés ont constaté que personne ne leur offrait de possibilités et qu’ils ne bénéficiaient pas du privilège intergénérationnel qu’est l’accès aux relations. À l’inverse, ils ont exprimé le désir de s’imposer tout en reconnaissant avec satisfaction que le malaise généré est nécessaire aux bouleversements, aux changements et aux transformations. En même temps, ils ont toutefois souligné la difficulté d’être obligés de se battre dans l’arène politique de la Colline, surtout pour ce qui est des conflits relatifs au temps de parole des questions importantes aux yeux des communautés qu’ils représentent. Cette rivalité va à l’encontre de leurs cultures et de leurs valeurs culturelles, y compris pour le personnel de leurs communautés.
Parti |
La Colline et le sentiment d’appartenance en son sein |
PCC |
Un sentiment général d’appartenance à une famille, au sein de leur parti et parmi les autres partis. N’ont jamais été victimes de discrimination sur la Colline ou au sein de leur parti grâce à la fiabilité de leur système de nomination. |
PLC |
Un lieu de possibilités qu’ils adorent. Une culture de parti ouverte, accueillante et représentative de la mosaïque culturelle canadienne. La reconnaissance et les échanges culturels sur la Colline ont contribué à renforcer le sentiment que la Colline appartient désormais à tout le monde. Les préjugés et les microagressions remettent en question leur place et leur mobilité professionnelle ascendante sur la Colline; la discrimination est partout. |
NPD |
Un lieu où dominent les hommes et la blancheur de peau. Un système colonial fondé sur la classe des grands propriétaires fonciers, de la Chambre des communes au Sénat. Des ancêtres ont été pendus ou tués en ces lieux. Personne n’ouvre de portes, offrant ainsi des privilèges intergénérationnels; s’imposer, causer un malaise. Culture de rivalité contre-intuitive par rapport à leurs cultures et à leurs valeurs culturelles. |
Dans ce discours, la théorie des solidarités libératrices est manifeste. L’espace est perçu comme étant façonné de manière innée par les structures de pouvoir pour dicter ceux ayant non seulement été acceptés dans les institutions de pouvoir et s’étant vu conférer du pouvoir, mais aussi ceux ayant subi des violences de la part de ces structures de pouvoir qui influencent les institutions de gouvernance. La vision de justice sociale associée consiste à perturber activement, au quotidien, ces structures de pouvoir normalisées en s’imposant dans l’espace que la logique de domination décrète comme n’étant pas le leur. Les sentiments de malaise quotidiens qui en découlent sont présentés comme un processus nécessaire à la transformation. De même, l’établissement de relations mutuelles à l’encontre de la suprématie blanche capitaliste et de sa culture de rivalité est considéré non seulement comme un travail indispensable pour changer la culture de la Colline et le bien-être au sein de celle-ci, mais aussi comme une stratégie d’organisation visant à favoriser un changement social avec et par l’institution.
Relations entre les PANDC : nature et ampleur des investissements en leur sein
Enfin, cette recherche vise à comprendre si les députés racialisés sur la Colline font preuve de solidarités libératrices qui affirment leur sentiment d’appartenance et de bien-être sur la Colline et soutiennent leur travail politique pour la justice sociale. Dans leurs conceptions de la Colline, leur expérience au sein de celle-ci et leurs points de vue sur la justice sociale, les députés de tous les partis ont livré des discours qui s’alignent, dans une certaine mesure, sur la théorie et les objectifs des solidarités libératrices. En général, dans le discours des libéraux et des conservateurs, la source du pouvoir n’est pas mentionnée (à divers degrés au sein des partis), bien que leur vision soit celle d’une réalité dans laquelle elle ne façonne pas notre expérience collective. Les députés libéraux ont cité des exemples dans lesquels l’intention persistante de s’unir contre la logique de domination, entre autres en affirmant la culture de l’autre, a suscité un sentiment d’appartenance et un désir de changement. À l’inverse, le NPD articule la perception d’un espace intrinsèquement façonné par les structures de pouvoir. Ces structures de pouvoir ne dictent pas seulement qui a été accepté dans les institutions de pouvoir et qui s’est vu conférer le pouvoir, mais aussi qui a subi la violence des structures influençant les institutions de gouvernance. La vision associée de la justice sociale consiste à perturber activement, au quotidien, ces structures de pouvoir normalisées.
En me basant sur ces systèmes de valeurs et visions larges, je soutiens que les députés des communautés de personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) à la Colline démontrent des solidarités libératrices à travers les lignes de parti, alignées sur leurs diverses conceptions de l’espace et de la justice sociale. Leur compréhension de ces solidarités, ainsi que la nature et la mesure dans laquelle ils les manifestent et s’investissent, sont formulées différemment selon les partis.
Les députés conservateurs interrogés ont confirmé qu’ils se rassemblent avec ceux qui partagent des expériences de vie similaires, comme les immigrants, pour travailler à s’assurer que des personnes comme eux ne rencontrent pas les mêmes obstacles. Il y avait une expression de la spécificité du lien entre les personnes autochtones, noires et de couleur, unies par la compréhension d’une lutte partagée et le désir de s’unir dans un sentiment d’appartenance au Canada. Les deux députés conservateurs interrogés ont mentionné plusieurs députés, actuels et passés, appartenant à la même identité ethnique et religieuse, qui : (i) les ont mentorés et à qui ils attribuent leur succès, (ii) qu’ils mentorisent à leur tour, et (iii) avec qui ils entretiennent des amitiés, aussi bien dans le cadre professionnel que personnel. Des exemples de telles relations ont été donnés au sein et au-delà des lignes de parti. Cependant, les réseaux professionnels collaboratifs ne sont pas nécessairement liés à l’expérience vécue. Tout député qui a des connaissances ou un engagement vis-à-vis d’une question communautaire, par exemple en raison de la démographie de sa circonscription et de ses intérêts politiques, est quelqu’un avec qui il peut collaborer et avec qui il a déjà collaboré. Ce faisant, il a développé des relations avec l’autre. Les députés ont indiqué que les caucus identitaires peuvent être des outils précieux pour l’organisation parmi les députés PANDC et plus largement, mais qu’ils devraient être axés sur l’intervention plutôt que sur un dialogue cyclique.
De plus, même sans considérer l’espace à travers le prisme des solidarités libératrices en lien avec le pouvoir spatial, les députés conservateurs ont néanmoins manifesté des solidarités libératrices. Ils investissent dans la connexion particulière entre les députés PANDC partageant des expériences communes de défis, se mentorant mutuellement et échangeant, tout en collaborant pour provoquer des changements afin que d’autres Canadiens PANDC n’aient pas à faire face aux mêmes difficultés. Les députés conservateurs s’engagent ainsi dans ces relations libératrices en fonction de leurs conceptions de l’espace et de la justice sociale. En général, la collaboration entre les députés PANDC n’est pas définie en opposition aux structures de pouvoir, qui restent non désignées. Cependant, ils se connectent à l’échelle internationale à travers leurs expériences individuelles et se concentrent sur des relations d’action pour le changement. Ce changement n’est pas perçu comme transformationnel ou structurel, et la lutte n’est pas toujours liée aux structures d’oppression, mais ils voient le travail pour la justice comme un moyen d’atténuer ces défis individuels.
Les députés libéraux interrogés ont largement exprimé le sentiment que les relations et les liens, tant personnels que professionnels, ne se limitaient pas à une identité partagée ou à des expériences vécues. Des exemples similaires de collaboration avec des députés représentant des groupes démographiques communs et défendant des politiques similaires ont été relevés. De même, l’importance des caucus d’identité a été soulignée en tant que moyen de connexion et de collaboration pour le changement social. Les caucus identitaires et les positions des députés à leur égard ont été définis et perçus à travers un spectre varié, mais restreint. En général, les caucus identitaires, qu’il s’agisse notamment du caucus des femmes, du caucus musulman, du caucus noir libéral, du caucus noir parlementaire et du caucus autochtone sont des lieux où les députés PANDC se sentent soutenus et affirmés. Ces lieux ont été décrits comme des endroits où les expériences personnelles pouvaient être affirmées en tant que questions politiques pertinentes. Des liens de solidarité et de soutien ont été tissés et une stratégie d’intervention et de changement politique a été mise en place. Certains députés ont l’impression que l’ouverture de ces caucus à ceux qui ne partagent pas cette identité (par exemple, les colons dans le caucus autochtone, etc.) est un moyen tout aussi important pour les députés de comprendre non seulement les expériences des uns et des autres sur la Colline, mais aussi les défis des Canadiens de ces groupes d’identification, et de soutenir au mieux l’intervention collective. Pour certains, cela était lié à la conviction que le caucus libéral et le Parlement en général ne devraient pas se fragmenter ou devenir insulaires en raison de la politique identitaire. Quelques députés ont fait remarquer qu’en vertu des liens distincts et de la compréhension des luttes spécifiques entre ceux qui partagent la même identité, il y a un temps et un lieu pour les rassemblements fermés, tels que le caucus musulman, dans lesquels les députés peuvent partager plus ouvertement, en toute sécurité et en toute liberté. Dans l’ensemble, cependant, il a été affirmé qu’il existe un fil universel d’expériences partagées parmi les députés PANDC, et plus particulièrement parmi ceux qui partagent des identités distinctes. Cette connexion offre encouragement, soutien émotionnel et le sentiment qu’un député PANDC n’est « pas seul ». Il a été noté que les députés PANDC se rassemblent pour mieux affirmer et légitimer le plaidoyer en faveur de questions de justice sociale communes et importantes. Un député a fait remarquer que les députés PANDC doivent faire face au besoin d’unité des personnes racialisées comme condition d’intervention. En d’autres termes, le plaidoyer des députés PANDC peut être discrédité s’ils n’ont pas le soutien de tous ceux qui représentent cette identité ou cette question, ce qui les amène à être conscients de ces politiques et à s’y préparer, ainsi qu’à élaborer des stratégies internes en conséquence.
Les députés libéraux ont décrit les « solidarités libératrices » comme des moments où les députés PANDC se réunissent pour partager leurs expériences, se soutenir et utiliser ces connaissances partagées pour développer des stratégies politiques. Comme les députés conservateurs, les députés libéraux croient que la collaboration en vue d’apporter des changements sur les questions de race, d’islamophobie, de xénophobie, entre autres, peut transcender d’autres différences, y compris parmi les députés non-PANDC. Bien que cette collaboration soit encouragée pour éviter la division, elle souligne l’importance de l’expérience partagée et de l’affirmation pour renforcer le sentiment d’appartenance parmi les députés PANDC.
Enfin, les députés du NPD interrogés ont exprimé leurs relations différemment. Un aspect important des liens des députés PANDC avec ces députés est d’agir comme un cadre de responsabilité. Les députés PANDC peuvent se tenir mutuellement responsables de rester fidèles à leurs valeurs, à leurs communautés et aux raisons qui les ont poussés à devenir députés. Ils se motivent mutuellement à ne pas être altérés par l’influence de la Colline et de la proximité du pouvoir qui y est exercé. Un élément racontable en fait de solidarités libératrices est la manière dont les députés se soutiennent mutuellement pour mener une réflexion personnelle afin de mettre en lumière puis de se débarrasser de leurs propres préjugés suprémacistes, colonialistes, etc. Ces députés ont affirmé qu’il s’agissait d’un processus continu qui s’avérait compliqué, compte tenu de leur propre oppression par ces systèmes et de la manière dont ils ont été socialement amenés par ces structures à adopter lesdits préjugés.
Ainsi, les députés du NPD font preuve au quotidien de solidarités libératrices les amenant à se soutenir les uns les autres en restant fidèles à eux-mêmes et en faisant un travail de déconstruction de la logique de domination, au lieu de se laisser influencer par la proximité et l’accès au pouvoir. Ils notent que le fait de laisser la place libre à ces systèmes de pouvoir, même s’ils en tirent profit, ne facilitera pas le changement transformateur. Les relations continuent de favoriser le travail émotionnel et la réflexion stratégique qui sous-tendent le changement transformateur.
En reconnaissance de ce fait, les députés du NPD ont tous admis l’existence d’une violence latérale entre députés PANDC, y compris au sein du caucus du NPD. Il est donc important de noter que les députés ont exprimé l’existence d’un réseau au sein duquel ils apprennent les uns des autres à agir de manière solidaire. Les actes de solidarité comprenaient l’affirmation de la lutte des uns et des autres sans avoir besoin d’explications, car identifier leur marginalisation sur la colline et expliquer la racine de la suprématie blanche et d’autres systèmes d’oppression était épuisant. Cela constituait une couche supplémentaire de marginalisation et de frustration. Il est important d’avoir des collègues PANDC qui peuvent les rencontrer dans ces conversations pour soutenir et affirmer une compréhension commune, plutôt que d’exiger des députés un travail émotionnel supplémentaire. La vie et le travail sur la Colline peuvent être « déchirants », car le système a été conçu pour stigmatiser et exclure les PANDC. Une contribution importante que les députés PANDC s’offrent les uns aux autres est de se donner un espace pour la joie de chacun. Ils cherchent à encourager et à affirmer leur droit à la joie et à se montrer mutuellement comment conserver cette joie, plutôt que de permettre à la Colline de la leur voler. Enfin, les députés ont indiqué qu’ils aimaient que d’autres députés PANDC utilisent leur capital social ou politique pour « se défendre les uns les autres ». Bien que l’on fasse souvent valoir que les alliés blancs disposent d’un pouvoir et de privilèges disproportionnés, au point que ce type d’espace pourrait ne pas être perçu comme indispensable, ceux-ci devraient, justement parce qu’ils ont des alliés, mettre en avant le travail des personnes racialisées. Cependant, les députés PANDC du NPD ont décrié le fait qu’il s’agit rarement de la réalité; au contraire, on parle à la fois d’un défaut décevant de la part de certains de leurs collègues blancs et, également, d’encourageants témoignages de solidarité de certains de leurs collègues PANDC. La signification et le poids de cette réalité sont d’autant plus importants que les participants du NPD ont parlé de questions qui sont plus que de simples questions politiques; il s’agit de défis que les participants et leurs communautés connaissent et ont vécus. Il s’agit notamment de la négation de leurs droits fondamentaux lorsqu’il n’est pas opportun, d’un point de vue politique, d’agir sur une question particulière. Les députés néo-démocrates PANDC ont déclaré que cette absence d’action était déshumanisante.
Dans l’ensemble, les députés néo-démocrates ont fait preuve de solidarités libératrices en affirmant le travail de chacun et en intensifiant la sensibilisation au sein du parti et du Parlement en vue de poursuivre la transformation, en se montrant attentifs et en s’offrant un espace les uns pour les autres, ainsi qu’en se livrant à un examen de conscience et en reconnaissant le travail nécessaire sur les émotions en vue d’assurer la santé mentale et la durabilité de chacun. Il s’agit d’un travail quotidien et de la base nécessaire aux mouvements, tels que définis par la théorie des solidarités libératrices.
Bien que tous les partis aient noté l’existence et la possibilité de solidarités libératrices au-delà des lignes de parti, les néo-démocrates ont été les seuls à critiquer la façon dont les députés PANDC des autres partis interagissent avec d’autres PANDC et prennent en charge la représentation des PANDC. L’on a explicitement indiqué que ces critiques n’avaient pas pour but de discréditer ou de nuire à ceux qui sont déjà marginalisés, mais de mettre en évidence les modèles plus larges de suprématie blanche tels qu’ils saturent l’espace, y compris les manières d’entrer en relation les uns avec les autres et la politique de la race.
Conclusion
Les solidarités libératrices sont les relations quotidiennes entre les personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC), par lesquelles celles-ci cherchent à s’affirmer et à se lier les unes aux autres en s’opposant à la manière dont nous sommes socialisés et contraints de considérer les corps racisés. Ce sont les liens d’amis et de collègues PANDC qui affirment la présence et les contributions de chaque personne, en particulier dans des lieux qui cherchent à altérer et à dissiper leurs identités. Les identités et les corps des PANDC sont recadrés à l’extérieur de l’hégémonie de la logique de domination pour promouvoir un récit transformateur et incarner une réalité d’existence faite d’attention et de respect des autres, en vue de démanteler les structures de pouvoir oppressives qui affectent nos vies au quotidien. Il s’agit d’une perturbation quotidienne du pouvoir, enracinée dans une culture générative de prévenance. Lorsque l’on cumule ces modestes relations et actes de résistance au quotidien, ce n’est pas seulement une culture qui surgit, mais aussi le patient labeur nécessaire au changement transformateur. De même, ce sont ces relations positives qui permettent d’exprimer et de partager de nouvelles connaissances afin de faire progresser de manière tangible les stratégies et les solutions en matière d’action transformatrice, tout en permettant également de veiller au bien-être des organisateurs PANDC qui poursuivent ce travail chaque jour.
En se fondant sur les valeurs de leur parti respectif, sur leur vision de la Colline et du Canada ainsi que sur leur vision de la justice sociale, les députés ont fait preuve d’une solidarité libératrice conforme aux positions philosophiques ou politiques de leur parti, ce à quoi on pouvait s’attendre. En général, dans le discours des libéraux et des conservateurs, la source du pouvoir n’est pas mentionnée (à divers degrés au sein des partis), bien que leur vision soit celle d’une réalité dans laquelle elle ne façonne pas notre expérience collective. Les députés se connectent à l’échelle internationale à travers leurs expériences individuelles et se concentrent sur des relations d’action. Ce changement n’est pas perçu comme transformationnel ou structurel, et la lutte n’est pas toujours liée aux structures d’oppression, mais le travail pour la justice est vu comme un moyen d’atténuer ces défis individuels. Les députés libéraux font preuve de solidarités libératrices fondées sur une affirmation commune s’opposant à la logique de domination et conférant des sentiments d’appartenance et de cohésion sociale. En revanche, les députés du NPD considèrent que l’espace est intrinsèquement façonné par les structures de pouvoir. Les députés néo-démocrates ont fait preuve de solidarités libératrices en affirmant le travail de chacun, en intensifiant la sensibilisation, en se montrant attentifs et en s’offrant un espace les uns pour les autres, ainsi qu’en se livrant au travail nécessaire sur les émotions en vue d’assurer la santé mentale et la durabilité de chacun en ce processus de transformation.
Notes
1 Daigle, M. et Ramírez, M. M. « Decolonial geographies. » Keywords in radical geography: Antipode at 50, 2019, p. 78-84.
2 Simpson, Leanne Betasamosake. As We Have Always Done: Indigenous Freedom through Radical Resistance. Minneapolis : University of Minnesota Press, 2017.
3 Voir : Simpson; Daigle et Ramirez; Goeman, M. Mark my words: Native women mapping our nations. U of Minnesota Press, 2013; McKittrick, K. Demonic grounds: Black women and the cartographies of struggle. U of Minnesota Press, 2006; et, Brady, M. P. « Extinct lands, temporal geographies. » In Extinct Lands, Temporal Geographies. Duke University Press, 2002.
4 Daigle et Ramirez
5 Ibid., p. 2
6 Goeman; McKittrick; Brady; et Daigle et Ramirez, p. 2.
7 Daigle et Ramirez, p. 3
8 Ibid., p. 4
9 Ibid., p. 3
10 Ibid., p. 4
11 Reid, C. Greaves, L. Kirby, S. “Chapter ١: Demystifying Research.” Experience Research Social Change (3e édition). University of Toronto Press: Toronto, ٢٠١٧, p. ١٤.
12 Denscombe, M. The good research guide: for small-scale social research projects. McGraw-Hill Education (Royaume-Uni), 2017.
13 Bryman, Alan. Social Research Methods. Oxford: Oxford University Press, 2001.
14 Satzinger, F. M. (2014). “ Dancing to the Tune of the Donor”: Donor Funding and Local Implementation of Initiatives to Assist Orphans and Other Vulnerable Children in Uganda, 1986–2011. Université de Toronto, Canada.
15 Hesse-Biber, S. N. (٢٠٠٧). The practice of feminist in-depth interviewing. Feminist research practice: A primer, 111148.